Histoire d’une notion. Coloniser l’espace pour sauver l’espèce humaine. C’est l’un des projets d’Elon Musk, sans doute celui qui lui tient le plus à cœur. A côté, Twitter n’est qu’un passe-temps. Le milliardaire est aussi le patron de SpaceX, une entreprise spécialisée dans le vol spatial et l’astronautique, dont le slogan est limpide : « Mars et au-delà, le chemin pour rendre l’humanité multiplanétaire ». Nous n’en sommes pas très loin, selon Elon Musk. En 2022, il laissait entendre que SpaceX enverrait en 2029 un vol habité vers Mars. Et il n’est pas le seul à viser les étoiles : Google, Amazon, ou encore Peter Thiel, milliardaire qui a fait fortune dans la tech, investissent pour échapper à la Terre.
Ce rêve est largement partagé dans la Silicon Valley. Il traduit certaines des valeurs propres à la Californie, où s’opère une fusion des cultures, dans un mélange de créativité et d’opportunisme. La colonisation de l’espace telle qu’imaginée par le monde de la haute technologie a une histoire étonnante, qui s’autorise même des détours par la Russie.
Le projet s’appuie en effet, en partie, sur une réinterprétation du cosmisme russe, un courant de pensée apparu à la fin du XIXe siècle. « Le philosophe Nikolaï Fiodorov [1829-1903] lance ce mouvement sur la base d’une idée : le développement technologique va permettre de réaliser enfin le christianisme, dont l’ambition serait de dépasser la mort. La Russie vit alors une période difficile, marquée par la famine et de nombreuses guerres. Fiodorov souhaite que l’on ramène à la vie tous les défunts, dont les particules se trouveraient partout autour de nous. Mais la Terre ne parviendra pas à accueillir toute cette population, il faudra donc coloniser d’autres planètes », explique le physicien Rudolph Biérent, auteur de L’Impératif cosmique. L’Avant-garde russe du XIXe siècle (Publishroom Factory, 2019).
L’Univers pour survivre
Elon Musk se plaît à citer un scientifique qui a côtoyé Fiodorov pendant sa jeunesse. Considéré comme le père de l’astronautique, Constantin Tsiolkovski (1857-1935) a laissé une formule aujourd’hui appréciée par le patron de Twitter : « La Terre est le berceau de l’humanité, mais on ne peut pas passer sa vie entière dans un berceau. »
Tsiolkovski redoute l’extinction du Soleil et la disparition de la Terre comme planète habitable. L’éternité de l’Univers offre à l’homme la possibilité de survivre. Il considère donc lui aussi qu’il faut explorer le cosmos.
Mais comment ces idées ont-elles rejoint la Californie ? « La Côte ouest est un endroit où l’on se targue davantage de faire et moins de lire. Une culture distincte s’y est construite, faite de représentations partagées, que chacun reprend sans en connaître véritablement l’origine. La conquête de l’espace est l’un des récits dominants de la Silicon Valley », rappelle Fred Turner, professeur à Stanford (Californie).
Il vous reste 50.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.